September 5, 2013

WE LOVE WORDS dot COM

Quelques textes qui n'apparaissent pas sur ce blog sont sur ma page "We Love Words" !

"CLIQUEZ SUR LE LIEN LES COPAINS"

September 1, 2013

Règlement de compte

Dimitri cherchait Quentin à tâtons dans le lit. Il ouvrit les yeux qui laissèrent pénétrer la lumière de la lampe posée sur le bureau. « Qu'est-ce que tu fais debout à cette heure ?
  • Je réfléchis.
  • À quoi ?
  • À rien. » Il y eut un silence que les ronronnements saccadés d'Einstein gênaient l'émotion de Quentin.
« Viens te coucher.
  • Je pense à Anna.
  • À quoi bon ?
  • Je me sens coupable.
  • On est en droit de se sentir coupable tous les deux tu sais ? Allez viens me rejoindre. Je me sens tout nu sans toi. »

Quentin se leva, enfila l'un des longs t-shirts de Dimitri, passa devant celui-ci sans même le regarder. Il referma la porte derrière lui. Dimitri ne cherchait pas à le retenir davantage. Il comprenait son sentiment. Faustine avait pour lui une hostilité qui lui était tout aussi difficile à dissimuler ce qui rendait l'air de l'appartement plus lourd encore que les vagues de chaleur de l'été.


* * * * * * * * * *

Il y avait cette nuit-là quelque chose d'anormal. Faustine n'arrivait pas à trouver la position qui la déroberait au monde réel pour embrasser l'imaginaire et l'intouchable de la nuit. Le désordre des vecteurs de ses bras et de ses jambes dessinait des courbes cassées en vrac sous le drap blanc duquel l'empreinte et l'odeur de son aimé étaient absentes. Seule au féminin de son essence. Il lui manquait la rugosité du torse de Chayim sur lequel elle aimait tant faire danser ses doigts entre ses poils. Elle soupire, se lève et part s'asseoir dans la cuisine.
Du silence à ne plus savoir quoi en faire. Sa tasse résonne comme si elle avait jeté un sac de bille sur la faïence de l'évier. Les canalisations pompent une eau qui peine à se rafraîchir des profondeurs des stations de la ville jusqu'au bord de ses lèvres sèches. Elle entend la porte de la chambre s'ouvrir.
Le temps d'un instant, elle crut qu'Anna allait sortir de la chambre mais elle faisait face à Quentin qui freina son élan aussi sec. « Assieds-toi crétin. Ça va être difficile de s'éviter de toute façon. Alors arrête de faire semblant d'être surpris de me voir à chaque fois que l'on se croise.
  • Il est trois heure du mat' Faustine. On peut pas attendre qu'il fasse jour pour se jeter des politesses à la tête ?
  • Maigre euphémisme. Allez. Assieds-toi je te dis. C'est toujours mieux que d'être chacun dans notre coin.
  • Tu n'arrives pas à dormir.
  • C'est la deuxième fois que Chayim ne rentre pas cette semaine. Je m'inquiète un peu.
  • Tout va bien entre vous ?
  • Oui. Enfin je crois. J'en sais rien, fit-elle en baissant la tête. Puis j'ai pas envie de t'en parler.
  • Bon, puisqu'on est là tous les deux. Tu pourrais peut-être enfin me cracher ton venin. Je sais que tu en meurs d'envie.
  • Ne me fais pas passer pour la connasse de cette histoire.
  • J'ai jamais dit ça.
  • Alors qu'est-ce que tu as à me dire ?
  • Qu'il serait bon que tu comprennes que c'est aussi difficile pour moi de réaliser qu'Anna ait quitté l'appartement à cause de moi.
  • À cause de VOUS !. Dimitri n'est pas tout blanc.
  • Alors c'est quoi ton problème avec moi.
  • Par où commencer ? T'es dans la merde et on te propose de venir vivre avec nous et tu voles Dimitri à Anna. T'es sûr qu'il n'y a rien qui cloche dans cette affaire ?
  • Alors laisse-moi te dire une chose ma belle. T'es effectivement la connasse de cette histoire. Dimitri et moi, c'est arrivé comme on tombe d'une chaise. On n'a rien demandé et Anna devait bien finir par le savoir un jour ou l'autre.
  • Certainement pas de la façon dont elle l'a découvert.
  • Certes. Et alors ? Ce qui est fait est fait.
  • T'as toujours réponse à tout comme ça ?
  • Là pour le coup, je ne vais pas me gêner et j'aurai le dernier mot. Je comprends très bien que tu m'en veuilles tout particulièrement mais tu es odieuse avec moi et il faut vraiment que ça cesse.
  • T'as qu'à déguerpir tu sais. Personne te retient...

La porte de la chambre s'ouvrit violemment. Dimitri déboula sur Faustine et la gifla. « Et tu sais très bien que tu ne l'as pas volée celle-là ! » Faustine resta figée un moment et quitta la pièce en claquant la porte. « Tu n'aurais pas du faire ça Dimitri.

  • Tu te moques de moi ? Tu comptais te laisser insulter sans rien faire.
  • Je ne serai sûrement pas allé jusqu'à...
  • C'est tout ce que j'ai trouvé à faire sur le coup.
  • Et tu feras quoi quand elle en parlera à Chayim ?
  • J'en sais rien et je m'en fous. Elle est infâme cette nana. Elle a perdue sa seule amie alors il faut qu'elle devienne invivable ? Je ne suis à moitié étonné que Chayim rentre de plus en plus tard. Depuis le départ d'Anna, tout le monde essaie de faire en sorte de tenir l'appartement en ordre mais madame « trouve » de la drogue par hasard et passe son temps complètement à l'ouest. Je veux bien admettre qu'elle soit loufoque et quand bien même, y a pas tant de mal à ça. Mais elle devient de plus en plus irrationnelle. Elle et Chayim ne couchent même plus ensemble et elle se venge sur toi à la moindre occasion. Trop c'est trop. »

Les contours invisibles

 Il fit sursauter ses paupières comme un dément mais avec dans l'intention du geste, de la douceur. Comme s'il cherchait la pulsion du cœur et l'électricité du mouvement même initié. Il partait de ce qui se projetait sur sa rétine pour se détourner du flou artistique des formes de son bureau, de son pot à crayon, de son bazar... Son regard atterrit sur les courbes de sa nuque pour deviner les contours invisibles d'un fantôme par dessus son épaule. Il n'y avait rien, rien d'autre que le néant qui le séparait de son envie de faire d'un rien tout un monde. Il se frotta les yeux et comme à chaque fois, dans le noir de ses pensées et à la lumière du jour, il avait beau constater que la page restait blanche sans en ressentir une frustration des plus déplaisante, il savait ce qu'il avait à dire et tout ce qui restait muet. Il y avait ces mots et ces images qui se mélangeaient dans une danse unique dont les pas touchaient les fibres du papier vierge de ses carnets. Il y avait des mélodies en formes de lettres colorées que son stylo peignait en prose que sa main égrenait en tout temps en tout lieu sur tous les supports. Des cordes vocales en passant par la voix mentale, il se perdait dans une sorte de tectonique des plaques de l'imaginaire et du réel troublées par le doute et la visée même de l'acte d'écrire.


À force d'essayer, il se perdait dans un labyrinthe fait de couloirs en béton armé. Il se barricadait dans une solitude qu'il jugeait nécessaire à la floraison de l'accomplissement de toute cette fichue pulsion. De l'instantané prémédité dont la délivrance rêvée pénètre les calques et les couches sereines de tout ce qu'il lui manque pour achever une ligne, une page, un livre...  

Un bref épisode de la vie d'Anna dans la 3ème partie de DARK MATTER

 Elle se réveillait en s'étirant de tout son long et la première chose qui vint lui caresser les narines fut l'odeur du café chaud. Du café frais qui revigore. En se redressant, elle aperçu des coins des yeux, d'un côté, de lourds billets jetés en vrac sur la table de chevet et de l'autre, une ombre fumante qui surgissait du cadre de la porte de la chambre et dont une voix étrangère récita d'un air monotone : « Je te veux dehors dans cinq minutes. Prends ton pactole et ne cherche pas à me revoir. » Elle se réveilla pour de bon, se rhabilla dans le seconde et récupéra toutes ses affaires. L'ombre avait disparu. Elle tourna la tête, hésitante, puis se jeta sur l'argent qu'elle fourra dans ses poches avant de s'engouffrer dans le couloir de l'entrée dont elle referma la porte une fois de l'autre côté. Elle dévala les escaliers et commença une longue marche loin de cet immeuble qu'elle ne daigna pas regarder. Elle allait de l'avant en comptant ses sous. C'était un pauvre type de toute façon, se disait-elle à chaque fois qu'on ne lui payait même pas le café. La journée ne faisait que commencer et elle s'ennuyait déjà. Il fallait qu'elle retourne à l'appartement prendre une douche et rejoindre les autres.

July 23, 2013

Dark Matter

Partie Une - Dans l'ordre des choses
    - 1 -
    Let's get the party started

* * * * * * * * * *
Il pleuvait des cordes et la grêle le frappait dans le dos. Il prit de l'élan et se précipita dans un bus. Il venait de se rappeler d'une invitation à ne pas manquer. Il sortit machinalement son téléphone et quelques dizaines de clics des pouces plus tard... “Désolé, je serai en retard. Je sors tout juste du boulot. Tu peux me redonner le digicode de la porte d'en bas s'il te plaît?” Il rentrait chez lui pour se faire beau, impeccable mais décontracté. Il aimait entretenir les premières impressions.
Une fois à destination, la soirée pouvait commencer. Il prit une longue inspiration et frappait deux coups. Chayim apparut dans l'encadrement de la porte avec un beau sourire. « Eh les gars, c'est Quentin! Salut mec! Ça va? Vas-y rentre. C'est bien que tu sois venu. Prends un verre. Ce soir, c'est la fête car demain personne ne fait rien. » Quentin le suivait en direction du salon. Il regarda par-dessus son épaule. C'était Faustine. « Tiens, goûte-moi ça! » Dimitri l'avait surprit par derrière et lui tendait un verre. « Confectionné par les soins de Faustine je présume?
  • Absolument. » Ce à quoi Chayim ajouta: « Un mélange secret. » Dimitri grimaça. « Qu'elle dit...
  • C'est ton troisième verre et tu n'as toujours pas trouvé la moitié des ingrédients Dim. Abandonne.
  • Il ne trouvera jamais, conclut Faustine.
  • Anna n'est p- ? »

« Salut Quentin! » Anna venait de sortir de la cuisine. Quentin sursauta. « Oh pardon! » Elle lui donna un petit sandwich violet et marron. « Tiens! Et après, tu essaieras mes macarons salés improvisés. » Puis elle disparaissait derrière Chayim. Quentin donna de la portée à sa voix. « C'est vrai que tout le monde fait ce genre de chose sans recette. » Une feuille surgit de la porte de la cuisine que la main d'Anna agitait. « C'est une recette aux figues et au foie gras. » Il la plia et la fourra dans sa poche. « Merci. Je pose mes affaires et je suis à vous tout de suite.
  • Fais comme chez toi, lança Chayim, enthousiaste. Alors? Qu'est-ce que tu nous racontes de beau?
  • Aujourd'hui était mon dernier jour au boulot. Je suis officiellement en vacances jusqu'à ce que je trouve autre chose à faire.
  • Alors trinquons à tes vacances! » Faustine alla dans la chambre et revint avec deux bouteilles dans chaque main qu'elle posa sur la table. « On m'a filé ces vieux machins il y a de ça une éternité. » Elle souffla un nuage de fumée qu'elle avait tiré sur sa cigarette collée sur le bout de ses lèvres rouges. « Allez, je nous sers! Quand Faustine ravitaille, on s'régale! » Dimitri était toujours d'attaque dès qu'il voyait autant de festivité liquide. Chayim lui lança : « Ça rime pas ce que tu dis. » Faustine plaça trois verres en triangle sur la table basse. Quentin, qui suivait des yeux la mise en scène du début de soirée, ouvrit son sac et en retira une bouteille. « J'ai apporté ça au cas où... » Anna rétorqua de la cuisine: « Je pense qu'on en a bien assez au salon. Donne-la moi. Je vais la mettre au frigo avec les autres.
  • Pas la peine, c'est du rouge. Je l'ouvrirai dès que j'aurai fini mon verre. » Dimitri se leva du canapé et lui prit la bouteille des mains. « Attends, donne. On est à sec avec Chayim.
    - C'est bien vrai! » Puis il gronda Quentin. « Assis-toi mec. T'es tout le temps debout. » Quentin bu son verre d'un trait et s'installa à côté de Dimitri. Il reposa son verre et dit avec fierté: « Fini.
  • Bravo! » fit Chayim en s'inclinant légèrement vers Quentin qui fit d'une bouchée de la création d'Anna. Faustine, qui ne prêtait pas attention à cet exploit, lança sèchement: « Mais on n'ouvre pas mes bouteilles d'abord Chayim? » Anna, en off: « Donne-les moi. » Chayim reprit: « Mais où sont passées tes bonnes manières ma chère? Faisons honneur au présent de notre invité.
  • Oh! Ce que j'ai pas dit encore... Excusez, votre altesse.
  • Commence pas. » Dimitri rigola et glissa dans l'oreille de Quentin: « Et c'est reparti pour un tour.
  • J'ai entendu Dim.
  • Désolé les gars.
  • Mais ne le sois pas mon cher Chayim. Cette fois-ci, vous ne vous êtes pas enfermés dans la chambre pour vous réciter les grâces.
  • J'ai loupé ça? » demanda Quentin. « Ne t'en fais pas Quentin. T'en verras d'autres.
  • Faustine... » soupira Chayim puis il l'embrassa sur la joue. Elle sourit ; le calme après la bourrasque.
    « On l'a échappé belle ! » Dimitri croqua le bouchon en métal pour dévisser et ouvrir la bouteille de Quentin en la faisant tourner dans une main. Il lui lâcha un clin d’œil et recracha le goût de rouille sur le tapis. Puis il versa une rasade de vin rouge dans les verres, qui éclaboussait grossièrement la table. « Passe ton verre Quentin. »

Anna refit une apparition éclair dans le salon pour voler un baiser à Dimitri. De loin, celui-ci improvisait un mime ; une interprétation de baisemain à la fin de laquelle il dévora la main d'Anna. « T'es nul ! J'en voulais un vrai et sur la bouche.
  • Tu veux que je recrache ?
  • Classe ! ironisa Quentin.
  • L'encourage pas p'tit malin.
  • Vous n'allez pas vous y mettre vous aussi ?
  • Mais non... » Dimitri fit oui de la tête et Anna lui jeta un torchon humide à la figure. Faustine reprit : « Laisse-les va. Ils font semblant.
  • Ah bon ? » Il regarda l'heure sur son téléphone. « Il est 21h. Vous attendez encore du monde ?
  • Non. Il n'y a que toi, répondit Anna.
  • Ah ? La dernière fois, il y avait...
  • Lucy et une copine à elle...
  • Sophie je crois.
  • Oui, c'est ça. Bonne mémoire ! Mais Lucy vient rarement à l'appartement. Elle vient de temps en temps pour le boulot. La dernière fois était une sorte d'exception.
  • Et bien c'est pas dommage, interrompit Faustine.
  • Oui, je sais, tu ne la portes pas dans ton cœur.
  • Voilà.
  • Mais pourquoi ? demanda Quentin.
  • Elle passe son temps à parler boulot et je trouve ça chiant au possible. Anna travaille suffisamment comme ça à l'appartement. Elle a le droit de souffler de temps en temps quand elle invite des gens. Cette bécasse est grossière.
  • J'avais oublié que tu travaillais directement de chez toi Anna. Donc, je ferme mon clapet et j'évite d'en parler c'est ça ? enchaîna Quentin en souriant.
  • Mais non, dit Anna.
  • Ce n'est que la deuxième fois que je viens ici. Je ne voudrais pas mettre qui que ce soit mal à l'aise.
  • T'en fais pas Quentin, lui dit Dimitri. Anna n'en tiendra pas rigueur.
  • Oui. Puis de toute façon quand un sujet de conversation ne l'intéresse pas, elle arrête d'écouter la personne d'en face.
  • Malin, n'est-ce pas ? dit Anna avec une fausse émotion dans la voix.
  • Donc en gros, faut faire gaffe à ce qu'on dit quand même, jugea Quentin.
  • Mais non. Mais non. On est ravis que tu sois là, s'insurgea Dimitri.
  • Merci les gars. » Anna retourna dans la cuisine. « Tu as fini le livre que je t'ai passé ? reprit Dimitri.
  • Il est là. » Quentin sortit un gros volume blanc et orange après avoir fouillé dans son sac. « T'imagines bien que je n'ai pas eu le temps de tout lire mais de la poésie... T'as tapé juste !
  • Je ne sais plus pourquoi je te l'avais filé.
  • Vous étiez ronds comme des queues de pelles et vous parliez bouquins, souligna Chayim en levant un doigt de savant au plafond.
  • Tu oublies quelqu'un dans le lot mon adoré.
  • Je ne vois pas de quoi vous voulez parlez mademoiselle. » Chayim embrassa Faustine tendrement sur le front. « Vient, on va dans la chambre. » Ils quittèrent le salon.

* * * * * * * * * *

Dimitri fumait de longues cigarettes roulées dont il fabriquait les filtres à partir des couvertures de ses livres préférés. Il sortit une petite boîte en bois de laquelle il choisissait un bout de carton plat. Il en prit quelques uns dans la paume de sa main et les scrutait minutieusement. Il en sélectionna un en esquissant un sourire et plia légèrement l'un des quatre côtés. Il le fit rouler entre son pouce et son index pour en obtenir un cylindre. Ensuite, il assemblait deux petites feuilles à rouler avec la gomme humide d'une troisième pour obtenir une longue feuille dans laquelle il mit un peu de tabac et le filtre qu'il venait de confectionner. D'un ton cérémonieux, il annonça : « C'est un Ginsberg !
  • Je n'en doute pas ! plaisanta Quentin.
  • Je suis content que le livre t'es plu.
  • C'est un homme qui en a vécu des choses dont nous sommes maintenant bien loin d'imaginer.
  • Et dont les mots me touchent profondément. » Il regarda dans le vide. Quentin reprit : « Pourquoi des filtres avec tes livres préférés alors ?
  • Parce que je trouve que le format de poche est une véritable révolution en terme de convivialité et parce que j'ai toujours fait ça en fait.
  • Ah..., fit Quentin dubitatif avec la tête de quelqu'un qui n'avait pas l'air de comprendre. C'est-à-dire ?
  • Je trouve que ça donne une autre dimension au livre que d'en faire des filtres.
  • Et la convivialité dans tout ça ?
  • Je partage toujours ces cigarettes-là.
  • Mais tu pourris tes couvertures de livres accessoirement.
  • Mais non. Je trouve au contraire qu'il y a quelque chose de poétique dans la démarche. Par exemple, là, c'est d'autant plus à propos que je t'ai prêté les « Collected Poems » de ce gros hippie.
  • Je crois que je comprends maintenant.
  • Tu vois ? Je fais aussi des filtres des livres que je suis en train de lire quand je fais des pauses. Je médite sur mes lectures. J'aime à croire qu'un lien sacré se crée entre mon loisir et ma passion. » Il finit son verre et les servit de nouveau. « Ça a effectivement quelque chose de poétique dans ta démarche.
  • À toi l'honneur mon Quentin. » Il lui tendit la cigarette et un briquet. « Merci de m'écouter.
  • C'est ce que je fais de mieux. » Dimitri trinqua avec le verre de Quentin posé sur la table. « À la nôtre mon pote !
  • À la tienne mec. » Il alluma la cigarette sur laquelle Dimitri avait signé « avec Quentin ». « Dis-moi. C'est quoi ton truc à toi ?
  • Ma foi, je pense que tu l'as deviné la dernière fois. J'aime beaucoup lire mais je suis très sélectif dans mes choix.
  • Je te comprends. C'est quoi ton truc ? demanda Dimitri.
  • La première phrase.
  • Ah ! Les premières phrases... Je les collectionne. Je suis incapable d'écrire quelque chose qui dépasse la sainte et simple première phrase.
  • Ah, tu écris ?
  • J'essaie. Mais je te rejoins très certainement quant à cette histoire de première phrase.
  • Oui mais c'est trop réducteur. Mais si la première page ne me plaît vraiment pas... Alors je range tout de suite le bouquin. » Il prit une longue gorgée de vin et se racla la gorge. « Et tu écris quoi ?
  • Ce qui me passe par la tête... Des bouts de machins, des citations qui me reviennent à l'esprit et qui m'inspirent. Rien de bien méchant. »
Faustine sortit de la chambre avec Chayim et se dirigea vers la cuisine. « Content que ça t'ait plu ma belle. » Il s'installa en face des garçons. « Tiens, je pourrais avoir la fin de ta clope ?
- Mais certainement. »

* * * * * * * * * *

« Il a l'air sympa ton Quentin. Vous vous êtes rencontrés comment ?
  • Il me donnait des cours d'anglais quand j'étais au lycée. Ça remonte cette histoire-là. Il était déjà à la fac et on ne s'est plus revu. Puis un jour on s'est croisé par hasard.
  • J'imagine... Pas facile de croiser quelqu'un dans cette ville. Le hasard a donc bien fait les choses. Il semble se sentir à l'aise ici.
  • On peut dire ça oui. Mais il nous a bien fallu deux ou trois coups de bol pour finalement s'échanger nos numéros.
  • Puis vous vous êtes revus avec les filles la dernière fois ?
  • Oui c'est ça. Mais c'est quoi cet interrogatoire ? Je sais que t'aimes pas les nouvelles têtes...
  • Ce quoi... ? Mais non. J'engage juste la conversation.
  • Mouais. T'as quoi derrière la tête ?
  • Rien. Juste une intuition.
  • Et ?
  • Un déjà vu... Vous en train de vous embrasser à la fin d'un cours de langue vivante.
  • Vas-y. Moque-toi va.
  • Oh je rigole.
  • Et bien, prêche le faux pour avoir le vrai autant que tu veux mais il ne s'est jamais rien passé entre Quentin et moi.
  • Jamais ? Il a pourtant de belles lèvres et un si joli nez.
  • Et toi tu n'as aucun flaire. En plus je pense qu'il est plutôt branché gars. Mais je l'ai toujours connu seul quand j'y repense. J'en sais rien en fait. Puis ça ne me regarde pas. T'es malsaine comme nana. Tu me fais dire des trucs. » Faustine ricana. « Tu veux savoir quoi de plus ? Il es très sociable...
  • Ça on l'a bien vu. Il est comme à la maison. C'est plutôt agréable. Puis il est pas prise de tête.
  • Ça c'est vrai. Mais il n'est pas réservé pour autant. Il a de la répartie.
  • Heureusement pour lui. Il s'entend bien avec les garçons d'ailleurs.
  • Surtout Dimitri.
  • Chayim aussi. Je pense qu'ils sont du même avis que nous. » Anna finit d'essuyer la vaisselle et commença à passer un coup d'éponge sur la table. « Bon allez, viens prendre un verre avec nous.
  • Je finis un truc et...
  • Viens. Sinon je crame toutes tes éponges. » Anna rigola de bon cœur et suivit Faustine jusqu'au salon.

* * * * * * * * * *

« Mais les gens lisent si peu de nos jours, engagea Dimitri.
  • Qu'est-ce que tu en sais ?
  • Moi j'ai remarqué quelque chose de drôle, interrompit Chayim.
  • Quoi donc ? demanda Dimitri.
  • J'avais le souvenir de questionnaires en veux-tu en voilà quand j'étais plus jeune...
  • Parce que tu te trouves trop vieux mon bonhomme ? dit Faustine.
  • Nia nia nia ! Non mais je suis sérieux. Il me semble qu'avant dans les questionnaires, on retrouvait souvent cette question. À savoir, combien de livre une personne pouvait lire dans l'année. Et étrangement, dans les sondages maintenant, je me rends compte que cette question n'apparaît presque plus et que cette donnée statistique n'importe plus.
  • Élémentaire mon cher Chayim, éructa Dimitri.
  • C'est dégueulasse Dim, s'exclama Anna.
  • Mais on lit tous les jours, rétorqua Quentin.
  • Oui, certes. À la télé, sur les panneaux publicitaires bourrés de fautes et remplis de messages subliminaux étudiés pour endormir notre esprit.
  • Reprends un verre. » lança Faustine. Elle ouvrit une de ses bouteilles et le servit. « Comment veux-tu que les gens lisent quand ils n'ont plus le temps de réfléchir.
  • J'avoue... finit par dire Anna. On en a encore pour longtemps ?
  • Autant de temps qu'il m'en faudra pour plaindre les livres.
  • Je plaisantais.
  • Je sais bien. Mais prenons les liseuses et le format numérique des livres par exemple. Je saisis le côté pratique mais les bibliothèques se vident et perdent de leur charme. On perd l'odeur d'un vieux livre par exemple. Le tout numérique me rend mélancolique.
  • Je te comprends, commença Quentin. Sans parler du toucher et du papier jaunit d'une vielle édition.
  • Toi, j't'aime bien. » Quentin rigola. Tous continuèrent d'écouter les arguments de Dimitri pour défendre le livre dont on tourne les vraies pages. Le tout, sans broncher car ils le savaient, si on le relançait sur le sujet, il pouvait passer sa vie à exposer ses points de vue digressifs. C'était un passionné que rien ni personne ne pouvait entreprendre d'arrêter une fois lancé.

* * * * * * * * * *

Quentin ne pouvait pas mieux commencer ses vacances entourés de ces personnes qui le sortaient de son quotidien à scruter les annonces pour des boulots minables. Les liasses de journaux d'informations à distribuer tous les matins pendant près d'un an dans une grande galerie souterraine de métro ; plus jamais, se disait-il fréquemment en repensant aux coups durs de la vie. « Alors Quentin, engagea Anna. Qu'est-ce que tu as prévu de faire pendant ces vacances ?
  • Ma foi, j'ai trouvé un boulot qui commence dans trois mois donc d'ici là, j'épuise mes économies et je verrai bien ce qui s'offre à moi.
  • Mais c'est risqué comme situation...
  • Comment ça ?
  • Tu jongles avec des petits boulots sans vraiment savoir où tout ça te mène en fin de compte.
  • Oui je sais. Mais il faut bien manger, n'est-ce pas ? Et puis, jusqu'ici tout se passe bien. Je suis plutôt bien organisé comme toi Anna donc j'arrive toujours à trouver de quoi faire.
  • Tu t'es déjà retrouvé sans emploi sur une longue période ?
  • Oh oui et c'est loin d'être agréable. Une fois, je me suis retrouvé à demander de la nourriture périmée au manager d'une épicerie.
  • Ah bon ?! s'exclama Dimitri. Mais ça n'a pas duré j'espère !
  • Un mois ou deux. C'était la galère mais j'ai très vite trouvé du travail.
  • Tu m'as fait peur, soupira Faustine, soulagée. C'est la jungle en ce bas monde. Mais on ne va pas relancer un nouveau sujet sans queue ni tête.
  • On ne peut pas refaire le monde. C'est hors de portée et tout le monde finit toujours frustré. Enfin, pour finir, l'ennemi numéro un à abattre dans ces cas-là, c'est la solitude, continua Quentin. » Tous l'écoutèrent attentivement et il se sentait faussement gêné d'étaler sa vie comme ça à des gens qu'ils venait de rencontrer mais ça le soulageait sans que personne ne s'en offusque. « Il faut entretenir ses liens sociaux. Il ne faut pas se retirer au point de ne plus réaliser que l'on est seul. Seul, on est vraiment peu de chose.
  • Une belle preuve d'humilité de savoir se tourner vers les autres, dit Anna.
  • Ça dépend, ça peut paraître opportuniste. On peut le voir aussi comme un manque d’indépendance. Je suis loin d'être le seul dans ce cas. Je suis suffisamment chanceux et j'ai réussi à m’organiser pour me débrouiller et me sortir de situations compliquées. Bref, passons. Je ne suis pas là pour raconter ma vie. » Dimitri passa un bras autour des épaules de Quentin. « En tous cas mec, n'hésites pas à demander si besoin.
  • Merci, c'est sympa mais je m'en sors. Alors ? Qu'est-ce qu'il y a au programme ce soir ? » Anna rejoignit Dimitri. « J'en sais trop rien. Je ne sais pas quelle heure il est. Mais les rues doivent être désertes. Ça vous dit de sortir un coup, histoire de prendre l'air ?
  • Oh oui, s'exclama Faustine en regardant par la fenêtre. Il ne pleut plus ! »


    - 2 -
    L'air de rien
    * * * * * * * * * *

Chayim sortit le premier, suivit dans la foulée de Quentin et de Faustine. Dimitri et Anna traînaient de la patte. « Tu restes pas dans ton coin cette fois-ci.
  • Je reste avec toi, promis. » Ils passèrent le hall d'entrée et pénétraient dans la nuit éclairée de lampadaires dont la lumière risquait un dernier souffle sur le calme de la rue. Les néons des grandes places irisaient les nuages d'orages restant au dessus des boulevards. La voix de Chayim brisait tous les silences. « Vous en avez mis du temps ! » cria-t-il. Il titubait comme un prince repu et avec la grâce d'un SDF au bout du roulot. Il trébuchait, bondissait et se cassait le nez par terre. Puis il se mit à bondir à nouveau. « Et bien voilà quelqu'un qui est content de sortir, dit Quentin.
  • Oui, c'est notre petit animal à nous, dit Faustine en rigolant. On essaie de le sortir assez fréquemment sinon... Ah et bien, tiens... Voilà ! » Elle le pointait du doigt. Il était en train de se soulager entre deux poubelles en pleine lumière. « Sois plus discret Chayim, lui lança Anna.
  • Mais sin- mais sinon... j'vois rien et j'm'en mets partout. Pouahaha !
  • Chhh-
  • Ahahaha !
  • Oh et puis j'abandonne. » Il ricanait tout seul, adossé à une borne électrique en se tenant les côtes. « Il est tout le temps comme ça ? demanda Quentin en se retournant vers Dimitri et Anna qui les suivaient de près.
  • Oh oui, fit Faustine dans un soupir.
  • Il adore traîner la nuit. Quand le chat n'est pas là, Chayim danse, reprit Dimitri.
  • La nuit lui va si bien, songea Faustine.
  • Oui enfin bon, on n'est pas seuls. Des gens dorment. J'avais seulement suggéré une balade tranquille. Là il nous fait son cinéma. On est en week-end bordel ! » Les yeux écarquillés de Dimitri se retournèrent sur Anna. « Et bien ma beauté ? Que signifie cette éclat ? » Puis il rigola à gorge déployée. « Tais-toi Dim. T'es con ou quoi ? » Quentin et Faustine éclatèrent de rire et Anna n'avait plus aucun contrôle sur personne. « Les gars, vous êtes bêtes. » Puis elle prit Dimitri par la main et le tirait virilement vers elle. « Bon allez, vous avez gagné. On va où ?
  • Pas là-bas... Moi je veux pas là-bas... là-bas... pas là-bas !
  • Chayim tais-toi, s'il te plaît, ordonna Faustine d'un ton impassible enrobé d'une voix suave.
  • Oui Madame. Puis il aboya et ne broncha pas d'un poil.
  • Donc à la demande générale de Chayim, il me semble que nous ne sommes pas dans la bonne direction.
  • Pas là-bas. » Faustine fit un bruit de claquement de la langue. « Oui Madame.
  • Et bien... On peut dire que tu le tiens ton Chayim, remarqua Quentin.
  • Ah ha ! Il le fait parce que ça me fait plaisir. »

Quentin s'amusait beaucoup à observer Faustine et Chayim. Il n'arrivait pas à cerner les différents degrés de maturité de leur relation. Ils s'amusaient et répondaient à leur frasques comme deux adolescents. Ils les avaient aperçus la dernière fois en train de se dire des jolies choses en se caressant du bout du nez. Puis ils s'étaient enfermés dans la chambre quand Faustine, a priori, en avait assez vu de Lucy.

Anna tenait fermement la main de Dimitri puis elle lui prit le bras pour le stopper dans sa démarche. Elle s'était assurée que personne ne puisse entendre. « Bon Dimitri. Il faut vraiment que l'on reparle de cette histoire d'argent. Ça serait bien que tu puisses piocher un peu dedans non ? Je te jure que j’abats de la besogne mais pas assez pour subvenir à nos deux parts de loyer et le reste des charges, sans parler de la nourriture et...
  • Pas maintenant Anna.
  • Mais tu m'avais promis qu'on en parlerait dès qu'on en aurait le temps.
  • Oui et justement, ce n'est pas le bon moment. Dans tous les cas, j'ai pris une décision.
  • Et ?
  • On va taper dedans mais vraiment pour le stricte minimum. Je déteste cet argent et tu le sais très bien.
  • Tu peux pas faire un effort ?
  • C'est déjà bien assez. Allez, on rejoint les autres. On en reparlera demain. » Elle lâcha prise et voyait Dimitri s'éloigner en direction des autres. « Promis ?
  • Promis. »

* * * * * * * * * *

« C'est quoi ces messes basses ? » engagea Quentin. Dimitri venait d'apparaître sous la lumière orange d'un lampadaire. Il cachait Anna avec sa silhouette.
  • C'est rien l'ami.
  • On dirait pas à ta tête.
  • C'est Anna qui insiste pour que je sorte des sous de mon compte. Mais je ne veux pas.
  • Oh, je ne savais pas que c'était personnel.
  • Y a rien de personnel du tout. Crois-moi. C'est un compte garnit par mon cher père et que je refuse de toucher et ce, même si on est en difficulté. On s'en sort toujours mais j'avoue que là... Elle travaille pour deux quoi. Je vais faire une exception.
  • Oui je vois un peu le tableau.
  • Au début, ça ne me gênait pas mais je ne peux vraiment pas accepter cet argent.
  • Très bien. Mais tu cherches du boulot ?
  • Du boulot ? J'ai arrêté de chercher. Franchement, quand tu nous as dit ce que tu as traversé... Je me sentais un peu coupable mais au bout de deux ans de refus... va remettre la machine en marche, toi...
  • T'inquiètes mec. Je suis passé par là.
  • C'est bien que tu sois venu ce soir Quentin, commença Dimitri pour changer de sujet.
  • Oui je me sens à l'aise avec vous... Mince ! » Anna venait de regagner leur hauteur. « Qu'est-ce qu'il y a ?
  • J'ai pas fait gaffe à l'heure. J'ai loupé mon dernier bus. Ça craint !
  • T'inquiètes tu peux rester à la maison. Demain on est libre. Tu es le bienvenu.
  • Vous êtes sûrs que je peux ? Je ne veux surtout pas m'imposer.» Dimitri lança aux deux autres un peu plus loin : « Eh les gars ! Ça l'fait si Quentin reste dormir ce soir ?
  • Bien sûr quelle question ! s'exclama Faustine. Tu vas pas t'aventurer à travers la ville tout seul Quentin. Reste.
  • Je veux pas déranger.
  • Taratata taratata taratata ! » chantonna Chayim d'une voix rauque. Dimitri explosa de rire accompagné de tout le monde. « Tu veux nous dire quelque chose Chayim ?
  • Je... J-... Je suis tout à... f-... tout à fait ! Tout à fait d'accord que tu... que tu pu... que tu peux rester à l'appappa- à l'apappartement. » Ils hurlèrent et l'écho de leur voix réunies résonna à travers la nuit.
Quentin alla rejoindre Faustine qui peinait à charger Chayim sur son épaule. Son discours lui avait coûté toute son énergie. Il avait des airs de jeune marin qui luttait pour tenir son rhum.


* * * * * * * * * *

« Mais le soleil va bientôt se lever ! » s'exclama Dimitri. Il retirait de la fierté à pouvoir tenir et cuver son vin sans dormir. « On rentre ? suggéra Anna. Je suis crevée.
  • Oui ma promise.
  • Oui et bien ta promise le restera si on discute de ce que tu sais.
  • Mais oui... »

* * * * * * * * * *
Si vous êtes arrivés jusqu'à lire ces mots, c'est que peut être ce début d'histoire vous a plu... J'ai mis le bouquin en stand by.. Besoin de prendre du recul. Je m'essaie à d'autres choses ou pas... Qui vivra, écrira...

July 21, 2013

L'échappée belle - nouvelle à suivre

 Quoi de plus simple que de s'asseoir sur un banc publique et de constater avec nostalgie et humilité le temps qui passe et les idées préconçues et les murs et les masques qui tombent. Les mains croisées sur la poitrine, puis derrière la nuque, jusqu'à les oublier quand le regard absorbe le soleil, le ciel et les êtres venant de partout et allant nulle part. Bercé par ses illusions figées à la manière d'un kaléidoscope miroitant des images pétrifiées, il creuse toujours plus loin, plus fort, plus vrai, cloué au sol, à la terre et aux mouvements invisibles de ce que les langages scientifiques ne révéleront jamais. Il se dicte les mots de tout un monde qu'il voit et imagine en dehors de lui-même. Mais quand la vision se trouble et que le regard se détourne du monde extérieur, le bilan se fait enclume sculptée, lovée au creux des quatre coins du cœur qui stimule le poids et l'intérêt nécessaire du regard vers soi. Les yeux cerclés de fatigue, rouges et noirs, se plissent et des gouttes de sueurs perlent aux extrêmes de ses tempes et roulent lentement sur les traits ronds de son visage ovale. Il tire un carnet en carton des profondeurs de son sac-à-dos qu'il flanque par dessus son épaule avant de s'élancer dans les rues désertes en attendant la nuit. Il en parcourt quelques pages en slalomant entre les poubelles, les bornes à incendies, les bouches d'égouts. Le crépuscule se fait languir. Il referme son petit bouquin qui irise aussitôt sa pensée. Il marche au hasard sous les lampadaires en rang de chaque côté des avenues et allume une cigarette dont le feu le conforte dans ses réflexions et le mystère qui le poussent à vagabonder ainsi. Une bouteille que sa main agrippe fermement à lui faire mal aux articulations, il traverse une route et s'engage sur un rond point énorme et fleuri au centre duquel une fontaine propulse l'eau de ses tuyaux rouillés plus haut que la cime des arbres bordant les trottoirs du giratoire qui dégage une odeur amer, humide et légèrement sucrée. En un clin d’œil et sans qu'il puisse vraiment s'en rendre compte, les nuages balayèrent le bleu céleste avant de se dissoudre dans un râle grave et court. L'air de l'été et la tranquillité du sommeil de ceux qui sont déjà couchés ajoutaient au silence des constellations, qui observaient le jeune homme reprendre une gorgée de son vin de vigueur, de la fraîcheur et de la douceur. La lune pointe quelques faibles rayons sur le bassin dans lequel baignaient les parfums des pétales des arbres à fleurs multicolores de la place.

Cela faisait une éternité qu'il n'était pas retourné sur ses propres traces, à la recherche des moments passés qu'il gardait en tête sans arrêt sur image comme une sorte de montage en super-8 dont les bobines muettes faisaient de petits déclics sourds et continus. Il s'assit en tailleur. Nul besoin de rabattre les paupières dans une telle pénombre. Ses pupilles dilatées et ses longs cils lui donnaient des airs de chercheur d'or ahuri qui lui permettaient de voir au loin et en détail le vert et le pourpre des arbustes lui faisant face. Il restait tranquille et respirait profondément comme pour se redonner une contenance afin de dépasser les farces de l'ivresse. Il se remémorait ces instants au cour desquels des éclats de voix résonnaient tant qu'il peinait à se rappeler les conversations qui le faisait rire à se tenir les côtes et pleurer à chaudes larmes. L'atmosphère générale le rendait incapable de reconstituer ne serait-ce que des mots empruntés à la foule vrombissante qui assiégeait ses pensées. La chaleur qui s'échappait du sol lui caressait les bras nus et rendait son état d'esprit imperméable au monde. Il restait là à essayer en vain de se souvenir de choses. « C'était le bon vieux temps. » Effectivement, ce temps vers lequel il se retourne inlassablement et dont l'épreuve hasardeuse d'en retirer une quelconque satisfaction le rend toujours frustré. Il avait, dans ces moments-là, l'impression d'avoir à se rendre lui-même... des contes... comme s'il devait répondre à une question dont il avait su un jour la formule mais qu'il avait perdu au gré de ses délires et des liens étoffés qu'il tissait pour se rappeler de tout et devenir ainsi le maître de tous ses souvenirs.

Son estomac ronronnait quand son cerveau cria famine à l'unisson avec l'ondé de l'aigreur du tabac et de l'alcool qui sortait lentement de ses narines. Il se toucha le front de la paume de sa main. Il tira sur son t-shirt pour le faire bailler afin d'en retirer un peu d'air pour se rafraîchir. Il commençait à se demander comment il en était arrivé là. Il regarda autour de lui. « Pas un chat... » Puis il baissa la tête et s'alluma une cigarette. Il ignorait l'heure qu'il pouvait se faire et faisait semblant de s'en moquer. Son sang s'épaississait et ses veines ressortaient davantage sur sa peau à mesure qu'il tirait une bouffée brûlante sur son clope. Il s'arrêta sur une double page de son carnet qu'il avait de nouveau dégainé et qui le fit grimacer. « C'est nul. Qu'est-ce qui m'a pris d'écrire un truc pareil ?! » Il scruta les environs pour s'assurer qu'il était toujours seul. Il décida de ranger son carnet quand sa main tomba sur un grand cahier. Il l'attrapa machinalement et l'ouvrit au hasard pour tomber sur une page qui cette fois-ci semblait lui avoir insufflé une décharge électrique. Il se redressa aussitôt et écarquilla les yeux un peu plus. Aussitôt qu'il eut finir de lire, il fourra toutes ses affaires dans son sac. Il tourna la tête dans une direction, se releva et entama une longue marche dont seul son taux d’alcoolémie connaissait la destination. Il se pinçait les lèvres et son visage changea d'expression. Il avait des airs de grand reporter convaincu d'être sur l'affaire du siècle. Ses pensées, d'ordinaires voilées par le doute et la peur de l'échec, valsait en rythme avec ses pas qui martelaient une cadence qu'il tenait au détriment de sa respiration. Il donna une pichenette à sa cigarette qui fit un bond de quelques mètres sur l'asphalte et explosa en plusieurs petits tas de braises qui moururent aussitôt. L'haleine fumante il se répétait les mots qu'il venait de lire. « Un jour, tu verras. Tu seras fou à lier ! »

Il fit volte-face et retourna en direction du giratoire qu'il ne reconnaissait déjà plus. Ce n'est pas là qu'il doit être. Il entra dans une ruelle qui sentait fortement l'urine. Il décida de s'y soulager avant de reprendre sa route. Le souffle court, il ralentit sa démarche et force était de constater que l'adrénaline de l'excitation à présent évaporée n'était en fait qu'une fausse piste. « J'y comprends rien. » Il se mit une gifle, releva la tête. Il était perdu et le temps d'un instant il venait d'oublier tout ce qui venait de se passer. « Mais je suis où bordel ?! » Il fit de son mieux pour que son cœur ne s'extirpe pas lui-même d'entre ses côtes. Il restait immobile et commença à marcher dans une rue au hasard... Pris soudainement de colère, il lança son sac tellement fort et tellement loin qu'il avait l'impression de s'être démis l'épaule. Il pris la direction inverse et se retrouva nez à nez avec un grand gaillard d'une tête de haut de plus que lui et contre lequel il buta avant de faire un grand pas en arrière. « Oh pardon. » Son sang ne fit qu'un tour. Il était terrorisé. Il était perdu et ne savait plus où aller. « Tout va bien ici ?
  • Oui, oui.
  • On dirait pas vue ta tête. »

Donc on saute carrément toutes les étapes. On oublie les règles de la politesse et on se tutoie ? Sa colère reprit le dessus. « Si, si. Tout va bien...
  • Et tu vas où comme ça ? interrompit l'autre.
  • Je... Je rentre chez moi. D'ailleurs je vais y aller si vous permettez.
  • C'est toi qui m'ait rentré dedans.
  • Désolé. Bonne soirée. »

Puis il y eut un long silence que l'autre d'en face rendait insupportable en toisant le vagabond. « Je dois y aller. » Puis il commença à courir n'importe où mais loin de cet inconnu qui avait surgit de nulle part. « Attends ! T'es sûr que ça va ? » Il avait donné de la portée à sa voix et marcha en direction de l'autre qui était déjà loin. « Reviens ! »

Il s'était caché entre deux conteneurs dont l'odeur pestilentielle lui faisait tourner la tête. Pourquoi a-t-il fallut qu'il tombe sur quelqu'un. Il eut un flash et réalisa ce qu'il avait fait à son sac-à-dos . Il ne pouvait pas rester terré ici comme un misérable. Il passa la tête prudemment en se tenant à la gouttière du bâtiment contre lequel il se tenait tant bien que mal. Il était essoufflé et son vin cuvait qui commençait à lui donner mal au crâne. Rien à signaler. Il commença à chercher son sac en essayant de se rappeler par où il était passé. « Pourvu que je ne croise personne d'autre... AÏE ! Putain ! » Il venait de manquer un trottoir et de se tordre la cheville. « Mais c'est pas vrai ! » Il commençait à voir des mouches devant les yeux. Il s'assit tant bien que mal et releva son pantalon. Il s'était ouvert la cheville. « Ça fait mal ? » L'inconnu surgit dans son dos et le jeune homme laissa échapper un cri d'effroi. « Mais vous êtes malade ? »