Partie
Une - Dans l'ordre des choses
*
* * * * * * * * *
Il
pleuvait des cordes et la grêle le frappait dans le dos. Il prit de
l'élan et se précipita dans un bus. Il venait de se rappeler d'une
invitation à ne pas manquer. Il sortit machinalement son téléphone
et quelques dizaines de clics des pouces plus tard... “Désolé, je
serai en retard. Je sors tout juste du boulot. Tu peux me redonner le
digicode de la porte d'en bas s'il te plaît?” Il rentrait chez lui
pour se faire beau, impeccable mais décontracté. Il aimait
entretenir les premières impressions.
Une
fois à destination, la soirée pouvait commencer. Il prit une longue
inspiration et frappait deux coups. Chayim apparut dans l'encadrement
de la porte avec un beau sourire. « Eh les gars, c'est Quentin!
Salut mec! Ça va? Vas-y rentre.
C'est bien que tu sois venu. Prends un verre. Ce soir, c'est la fête
car demain personne ne fait rien. » Quentin le suivait en
direction du salon. Il regarda par-dessus son épaule. C'était
Faustine. « Tiens, goûte-moi ça! » Dimitri l'avait
surprit par derrière et lui tendait un verre. « Confectionné
par les soins de Faustine je présume?
C'est
ton troisième verre et tu n'as toujours pas trouvé la moitié des
ingrédients Dim. Abandonne.
Il
ne trouvera jamais, conclut Faustine.
Anna
n'est p- ? »
« Salut
Quentin! » Anna venait de sortir de la cuisine. Quentin
sursauta. « Oh pardon! » Elle lui donna un petit sandwich
violet et marron. « Tiens! Et après, tu essaieras mes macarons
salés improvisés. » Puis elle disparaissait derrière Chayim.
Quentin donna de la portée à sa voix. « C'est vrai que tout
le monde fait ce genre de chose sans recette. » Une feuille
surgit de la porte de la cuisine que la main d'Anna agitait. « C'est
une recette aux figues et au foie gras. » Il la plia et la
fourra dans sa poche. « Merci. Je pose mes affaires et je suis
à vous tout de suite.
Fais
comme chez toi, lança Chayim, enthousiaste. Alors? Qu'est-ce que tu
nous racontes de beau?
Aujourd'hui
était mon dernier jour au boulot. Je suis officiellement en
vacances jusqu'à ce que je trouve autre chose à faire.
Alors
trinquons à tes vacances! » Faustine alla dans la chambre et
revint avec deux bouteilles dans chaque main qu'elle posa sur la
table. « On m'a filé ces vieux machins il y a de ça une
éternité. » Elle souffla un nuage de fumée qu'elle avait
tiré sur sa cigarette collée sur le bout de ses lèvres rouges.
« Allez, je nous sers! Quand Faustine ravitaille, on
s'régale! » Dimitri était toujours d'attaque dès qu'il
voyait autant de festivité liquide. Chayim lui lança : « Ça
rime pas ce que tu dis. » Faustine plaça trois verres en
triangle sur la table basse. Quentin, qui suivait des yeux la mise
en scène du début de soirée, ouvrit son sac et en retira une
bouteille. « J'ai apporté ça au cas où... » Anna
rétorqua de la cuisine: « Je pense qu'on en a bien assez au
salon. Donne-la moi. Je vais la mettre au frigo avec les autres.
Pas
la peine, c'est du rouge. Je l'ouvrirai dès que j'aurai fini mon
verre. » Dimitri se leva du canapé et lui prit la bouteille
des mains. « Attends, donne. On est à sec avec Chayim.
-
C'est bien vrai! » Puis il gronda Quentin. « Assis-toi
mec. T'es tout le temps debout. » Quentin bu son verre d'un
trait et s'installa à côté de Dimitri. Il reposa son verre et dit
avec fierté: « Fini.
Bravo! »
fit Chayim en s'inclinant légèrement vers Quentin qui fit d'une
bouchée de la création d'Anna. Faustine, qui ne prêtait pas
attention à cet exploit, lança sèchement: « Mais on n'ouvre
pas mes bouteilles d'abord Chayim? » Anna, en off: « Donne-les
moi. » Chayim reprit: « Mais où sont passées tes
bonnes manières ma chère? Faisons honneur au présent de notre
invité.
Oh!
Ce que j'ai pas dit encore... Excusez, votre altesse.
Commence
pas. » Dimitri rigola et glissa dans l'oreille de Quentin:
« Et c'est reparti pour un tour.
J'ai
entendu Dim.
Désolé
les gars.
Mais
ne le sois pas mon cher Chayim. Cette fois-ci, vous ne vous êtes
pas enfermés dans la chambre pour vous réciter les grâces.
J'ai
loupé ça? » demanda Quentin. « Ne t'en fais pas
Quentin. T'en verras d'autres.
Faustine... »
soupira Chayim puis il l'embrassa sur la joue. Elle sourit ; le
calme après la bourrasque.
« On
l'a échappé belle ! » Dimitri croqua le bouchon en
métal pour dévisser et ouvrir la bouteille de Quentin en la
faisant tourner dans une main. Il lui lâcha un clin d’œil et
recracha le goût de rouille sur le tapis. Puis il versa une rasade
de vin rouge dans les verres, qui éclaboussait grossièrement la
table. « Passe ton verre Quentin. »
Anna
refit une apparition éclair dans le salon pour voler un baiser à
Dimitri. De loin, celui-ci improvisait un mime ; une
interprétation de baisemain à la fin de laquelle il dévora la main
d'Anna. « T'es nul ! J'en voulais un vrai et sur la
bouche.
Tu
veux que je recrache ?
Classe !
ironisa Quentin.
L'encourage
pas p'tit malin.
Vous
n'allez pas vous y mettre vous aussi ?
Mais
non... » Dimitri fit oui de la tête et Anna lui jeta un
torchon humide à la figure. Faustine reprit : « Laisse-les
va. Ils font semblant.
Ah
bon ? » Il regarda l'heure sur son téléphone. « Il
est 21h. Vous attendez encore du monde ?
Non.
Il n'y a que toi, répondit Anna.
Ah ?
La dernière fois, il y avait...
Lucy
et une copine à elle...
Sophie
je crois.
Oui,
c'est ça. Bonne mémoire ! Mais Lucy vient rarement à
l'appartement. Elle vient de temps en temps pour le boulot. La
dernière fois était une sorte d'exception.
Et
bien c'est pas dommage, interrompit Faustine.
Oui,
je sais, tu ne la portes pas dans ton cœur.
Voilà.
Mais
pourquoi ? demanda Quentin.
Elle
passe son temps à parler boulot et je trouve ça chiant au
possible. Anna travaille suffisamment comme ça à l'appartement.
Elle a le droit de souffler de temps en temps quand elle invite des
gens. Cette bécasse est grossière.
J'avais
oublié que tu travaillais directement de chez toi Anna. Donc, je
ferme mon clapet et j'évite d'en parler c'est ça ? enchaîna
Quentin en souriant.
Mais
non, dit Anna.
Ce
n'est que la deuxième fois que je viens ici. Je ne voudrais pas
mettre qui que ce soit mal à l'aise.
T'en
fais pas Quentin, lui dit Dimitri. Anna n'en tiendra pas rigueur.
Oui.
Puis de toute façon quand un sujet de conversation ne l'intéresse
pas, elle arrête d'écouter la personne d'en face.
Malin,
n'est-ce pas ? dit Anna avec une fausse émotion dans la voix.
Donc
en gros, faut faire gaffe à ce qu'on dit quand même, jugea
Quentin.
Mais
non. Mais non. On est ravis que tu sois là, s'insurgea Dimitri.
Merci
les gars. » Anna retourna dans la cuisine. « Tu as fini
le livre que je t'ai passé ? reprit Dimitri.
Il
est là. » Quentin sortit un gros volume blanc et orange après
avoir fouillé dans son sac. « T'imagines bien que je n'ai pas
eu le temps de tout lire mais de la poésie... T'as tapé juste !
Je
ne sais plus pourquoi je te l'avais filé.
Vous
étiez ronds comme des queues de pelles et vous parliez bouquins,
souligna Chayim en levant un doigt de savant au plafond.
Tu
oublies quelqu'un dans le lot mon adoré.
Je
ne vois pas de quoi vous voulez parlez mademoiselle. » Chayim
embrassa Faustine tendrement sur le front. « Vient, on va dans
la chambre. » Ils quittèrent le salon.
*
* * * * * * * * *
Dimitri
fumait de longues cigarettes roulées dont il fabriquait les filtres
à partir des couvertures de ses livres préférés. Il sortit une
petite boîte en bois de laquelle il choisissait un bout de carton
plat. Il en prit quelques uns dans la paume de sa main et les
scrutait minutieusement. Il en sélectionna un en esquissant un
sourire et plia légèrement l'un des quatre côtés. Il le fit
rouler entre son pouce et son index pour en obtenir un cylindre.
Ensuite, il assemblait deux petites feuilles à rouler avec la gomme
humide d'une troisième pour obtenir une longue feuille dans laquelle
il mit un peu de tabac et le filtre qu'il venait de confectionner.
D'un ton cérémonieux, il annonça : « C'est un
Ginsberg !
Je
n'en doute pas ! plaisanta Quentin.
Je
suis content que le livre t'es plu.
C'est
un homme qui en a vécu des choses dont nous sommes maintenant bien
loin d'imaginer.
Et
dont les mots me touchent profondément. » Il regarda dans le
vide. Quentin reprit : « Pourquoi des filtres avec tes
livres préférés alors ?
Parce
que je trouve que le format de poche est une véritable révolution
en terme de convivialité et parce que j'ai toujours fait ça en
fait.
Ah...,
fit Quentin dubitatif avec la tête de quelqu'un qui n'avait pas
l'air de comprendre. C'est-à-dire ?
Je
trouve que ça donne une autre dimension au livre que d'en faire des
filtres.
Et
la convivialité dans tout ça ?
Je
partage toujours ces cigarettes-là.
Mais
tu pourris tes couvertures de livres accessoirement.
Mais
non. Je trouve au contraire qu'il y a quelque chose de poétique
dans la démarche. Par exemple, là, c'est d'autant plus à propos
que je t'ai prêté les « Collected Poems » de ce gros
hippie.
Je
crois que je comprends maintenant.
Tu
vois ? Je fais aussi des filtres des livres que je suis en
train de lire quand je fais des pauses. Je médite sur mes lectures.
J'aime à croire qu'un lien sacré se crée entre mon loisir et ma
passion. » Il finit son verre et les servit de nouveau. « Ça
a effectivement quelque chose de poétique dans ta démarche.
À
toi l'honneur mon Quentin. » Il lui tendit la cigarette et un
briquet. « Merci de m'écouter.
C'est
ce que je fais de mieux. » Dimitri trinqua avec le verre de
Quentin posé sur la table. « À la nôtre mon pote !
À
la tienne mec. » Il alluma la cigarette sur laquelle Dimitri
avait signé « avec Quentin ». « Dis-moi. C'est
quoi ton truc à toi ?
Ma
foi, je pense que tu l'as deviné la dernière fois. J'aime beaucoup
lire mais je suis très sélectif dans mes choix.
Je
te comprends. C'est quoi ton truc ? demanda Dimitri.
La
première phrase.
Ah !
Les premières phrases... Je les collectionne. Je suis incapable
d'écrire quelque chose qui dépasse la sainte et simple première
phrase.
Ah,
tu écris ?
J'essaie.
Mais je te rejoins très certainement quant à cette histoire de
première phrase.
Oui
mais c'est trop réducteur. Mais si la première page ne me plaît
vraiment pas... Alors je range tout de suite le bouquin. » Il
prit une longue gorgée de vin et se racla la gorge. « Et tu
écris quoi ?
Ce
qui me passe par la tête... Des bouts de machins, des citations qui
me reviennent à l'esprit et qui m'inspirent. Rien de bien
méchant. »
Faustine
sortit de la chambre avec Chayim et se dirigea vers la cuisine.
« Content que ça t'ait plu ma belle. » Il s'installa en
face des garçons. « Tiens, je pourrais avoir la fin de ta
clope ?
-
Mais certainement. »
*
* * * * * * * * *
« Il
a l'air sympa ton Quentin. Vous vous êtes rencontrés comment ?
Il
me donnait des cours d'anglais quand j'étais au lycée. Ça remonte
cette histoire-là. Il était déjà à la fac et on ne s'est plus
revu. Puis un jour on s'est croisé par hasard.
J'imagine...
Pas facile de croiser quelqu'un dans cette ville. Le hasard a donc
bien fait les choses. Il semble se sentir à l'aise ici.
On
peut dire ça oui. Mais il nous a bien fallu deux ou trois coups de
bol pour finalement s'échanger nos numéros.
Puis
vous vous êtes revus avec les filles la dernière fois ?
Oui
c'est ça. Mais c'est quoi cet interrogatoire ? Je sais que
t'aimes pas les nouvelles têtes...
Ce
quoi... ? Mais non. J'engage juste la conversation.
Mouais.
T'as quoi derrière la tête ?
Rien.
Juste une intuition.
Et ?
Un
déjà vu... Vous en train de vous embrasser à la fin d'un cours de
langue vivante.
Vas-y.
Moque-toi va.
Oh
je rigole.
Et
bien, prêche le faux pour avoir le vrai autant que tu veux mais il
ne s'est jamais rien passé entre Quentin et moi.
Jamais ?
Il a pourtant de belles lèvres et un si joli nez.
Et
toi tu n'as aucun flaire. En plus je pense qu'il est plutôt branché
gars. Mais je l'ai toujours connu seul quand j'y repense. J'en sais
rien en fait. Puis ça ne me regarde pas. T'es malsaine comme nana.
Tu me fais dire des trucs. » Faustine ricana. « Tu veux
savoir quoi de plus ? Il es très sociable...
Ça
on l'a bien vu. Il est comme à la maison. C'est plutôt agréable.
Puis il est pas prise de tête.
Ça
c'est vrai. Mais il n'est pas réservé pour autant. Il a de la
répartie.
Heureusement
pour lui. Il s'entend bien avec les garçons d'ailleurs.
Surtout
Dimitri.
Chayim
aussi. Je pense qu'ils sont du même avis que nous. » Anna
finit d'essuyer la vaisselle et commença à passer un coup d'éponge
sur la table. « Bon allez, viens prendre un verre avec nous.
Je
finis un truc et...
Viens.
Sinon je crame toutes tes éponges. » Anna rigola de bon cœur
et suivit Faustine jusqu'au salon.
*
* * * * * * * * *
« Mais
les gens lisent si peu de nos jours, engagea Dimitri.
Qu'est-ce
que tu en sais ?
Moi
j'ai remarqué quelque chose de drôle, interrompit Chayim.
Quoi
donc ? demanda Dimitri.
J'avais
le souvenir de questionnaires en veux-tu en voilà quand j'étais
plus jeune...
Parce
que tu te trouves trop vieux mon bonhomme ? dit Faustine.
Nia
nia nia ! Non mais je suis sérieux. Il me semble qu'avant dans
les questionnaires, on retrouvait souvent cette question. À savoir,
combien de livre une personne pouvait lire dans l'année. Et
étrangement, dans les sondages maintenant, je me rends compte que
cette question n'apparaît presque plus et que cette donnée
statistique n'importe plus.
Élémentaire
mon cher Chayim, éructa Dimitri.
C'est
dégueulasse Dim, s'exclama Anna.
Mais
on lit tous les jours, rétorqua Quentin.
Oui, certes.
À la télé, sur les panneaux publicitaires bourrés de fautes et
remplis de messages subliminaux étudiés pour endormir notre
esprit.
Reprends un verre. »
lança Faustine. Elle ouvrit une de ses bouteilles et le servit.
« Comment veux-tu que les gens lisent quand ils n'ont plus le
temps de réfléchir.
J'avoue...
finit par dire Anna. On en a encore pour longtemps ?
Autant
de temps qu'il m'en faudra pour plaindre les livres.
Je
plaisantais.
Je
sais bien. Mais prenons les liseuses et le format numérique des
livres par exemple. Je saisis le côté pratique mais les
bibliothèques se vident et perdent de leur charme. On perd l'odeur
d'un vieux livre par exemple. Le tout numérique me rend
mélancolique.
Je
te comprends, commença Quentin. Sans parler du toucher et du papier
jaunit d'une vielle édition.
Toi,
j't'aime bien. » Quentin rigola. Tous continuèrent d'écouter
les arguments de Dimitri pour défendre le livre dont on tourne les
vraies pages. Le tout, sans broncher car ils le savaient, si on le
relançait sur le sujet, il pouvait passer sa vie à exposer ses
points de vue digressifs. C'était un passionné que rien ni
personne ne pouvait entreprendre d'arrêter une fois lancé.
*
* * * * * * * * *
Quentin
ne pouvait pas mieux commencer ses vacances entourés de ces
personnes qui le sortaient de son quotidien à scruter les annonces
pour des boulots minables. Les liasses de journaux d'informations à
distribuer tous les matins pendant près d'un an dans une grande
galerie souterraine de métro ; plus jamais, se disait-il
fréquemment en repensant aux coups durs de la vie. « Alors
Quentin, engagea Anna. Qu'est-ce que tu as prévu de faire pendant
ces vacances ?
Ma
foi, j'ai trouvé un boulot qui commence dans trois mois donc d'ici
là, j'épuise mes économies et je verrai bien ce qui s'offre à
moi.
Mais
c'est risqué comme situation...
Comment
ça ?
Tu
jongles avec des petits boulots sans vraiment savoir où tout ça te
mène en fin de compte.
Oui
je sais. Mais il faut bien manger, n'est-ce pas ? Et puis,
jusqu'ici tout se passe bien. Je suis plutôt bien organisé comme
toi Anna donc j'arrive toujours à trouver de quoi faire.
Tu
t'es déjà retrouvé sans emploi sur une longue période ?
Oh
oui et c'est loin d'être agréable. Une fois, je me suis retrouvé
à demander de la nourriture périmée au manager d'une épicerie.
Ah
bon ?! s'exclama Dimitri. Mais ça n'a pas duré j'espère !
Un
mois ou deux. C'était la galère mais j'ai très vite trouvé du
travail.
Tu
m'as fait peur, soupira Faustine, soulagée. C'est la jungle en ce
bas monde. Mais on ne va pas relancer un nouveau sujet sans queue ni
tête.
On
ne peut pas refaire le monde. C'est hors de portée et tout le monde
finit toujours frustré. Enfin, pour finir, l'ennemi numéro un à
abattre dans ces cas-là, c'est la solitude, continua Quentin. »
Tous l'écoutèrent attentivement et il se sentait faussement gêné
d'étaler sa vie comme ça à des gens qu'ils venait de rencontrer
mais ça le soulageait sans que personne ne s'en offusque. « Il
faut entretenir ses liens sociaux. Il ne faut pas se retirer au
point de ne plus réaliser que l'on est seul. Seul, on est vraiment
peu de chose.
Une
belle preuve d'humilité de savoir se tourner vers les autres, dit
Anna.
Ça
dépend, ça peut paraître opportuniste. On peut le voir aussi
comme un manque d’indépendance. Je suis loin d'être le seul dans
ce cas. Je suis suffisamment chanceux et j'ai réussi à m’organiser
pour me débrouiller et me sortir de situations compliquées. Bref,
passons. Je ne suis pas là pour raconter ma vie. » Dimitri
passa un bras autour des épaules de Quentin. « En tous cas
mec, n'hésites pas à demander si besoin.
Merci,
c'est sympa mais je m'en sors. Alors ? Qu'est-ce qu'il y a au
programme ce soir ? » Anna rejoignit Dimitri. « J'en
sais trop rien. Je ne sais pas quelle heure il est. Mais les rues
doivent être désertes. Ça vous dit de sortir un coup, histoire de
prendre l'air ?
Oh
oui, s'exclama Faustine en regardant par la fenêtre. Il ne pleut
plus ! »
-
2 -
L'air de rien
*
* * * * * * * * *
Chayim
sortit le premier, suivit dans la foulée de Quentin et de Faustine.
Dimitri et Anna traînaient de la patte. « Tu restes pas dans
ton coin cette fois-ci.
Je
reste avec toi, promis. » Ils passèrent le hall d'entrée et
pénétraient dans la nuit éclairée de lampadaires dont la lumière
risquait un dernier souffle sur le calme de la rue. Les néons des
grandes places irisaient les nuages d'orages restant au dessus des
boulevards. La voix de Chayim brisait tous les silences. « Vous
en avez mis du temps ! » cria-t-il. Il titubait comme un
prince repu et avec la grâce d'un SDF au bout du roulot. Il
trébuchait, bondissait et se cassait le nez par terre. Puis il se
mit à bondir à nouveau. « Et bien voilà quelqu'un qui est
content de sortir, dit Quentin.
Oui,
c'est notre petit animal à nous,
dit Faustine en rigolant. On essaie de le sortir assez fréquemment
sinon... Ah et bien, tiens... Voilà ! » Elle le pointait
du doigt. Il était en train de se soulager entre deux poubelles en
pleine lumière. « Sois plus discret Chayim, lui lança Anna.
Mais
sin- mais sinon... j'vois rien et j'm'en mets partout. Pouahaha !
Chhh-
Ahahaha !
Oh
et puis j'abandonne. » Il ricanait tout seul, adossé à une
borne électrique
en se tenant les côtes. « Il est tout le temps comme ça ?
demanda Quentin en se retournant vers Dimitri et Anna qui les
suivaient de près.
Oh
oui, fit Faustine dans un soupir.
Il
adore traîner la nuit. Quand le chat n'est pas là, Chayim danse,
reprit Dimitri.
La
nuit lui va si bien, songea Faustine.
Oui
enfin bon, on n'est pas seuls. Des gens dorment. J'avais seulement
suggéré une balade tranquille. Là il nous fait son cinéma. On
est en week-end bordel ! » Les yeux écarquillés de
Dimitri se retournèrent sur Anna. « Et bien ma beauté ? Que
signifie cette éclat ? » Puis il rigola à gorge
déployée. « Tais-toi Dim. T'es con ou quoi ? »
Quentin et Faustine éclatèrent de rire et Anna n'avait plus aucun
contrôle sur personne. « Les gars, vous êtes bêtes. »
Puis elle prit Dimitri par la main et le tirait virilement vers
elle. « Bon allez, vous avez gagné. On va où ?
Pas
là-bas... Moi je veux pas là-bas... là-bas... pas là-bas !
Chayim
tais-toi, s'il te plaît, ordonna Faustine d'un ton impassible
enrobé d'une voix suave.
Oui
Madame. Puis il aboya et ne broncha pas d'un poil.
Donc
à la demande générale de Chayim, il me semble que nous ne sommes
pas dans la bonne direction.
Pas
là-bas. » Faustine fit un bruit de claquement de la langue.
« Oui Madame.
Et
bien... On peut dire que tu le tiens ton Chayim, remarqua Quentin.
Ah
ha ! Il le fait parce que ça me fait plaisir. »
Quentin
s'amusait beaucoup à observer Faustine et Chayim. Il n'arrivait pas
à cerner les différents degrés de maturité de leur relation. Ils
s'amusaient et répondaient à leur frasques comme deux adolescents.
Ils les avaient aperçus la dernière fois en train de se dire des
jolies choses en se caressant du bout du nez. Puis ils s'étaient
enfermés dans la chambre quand Faustine, a priori, en avait assez vu
de Lucy.
Anna
tenait fermement la main de Dimitri puis elle lui prit le bras pour
le stopper dans sa démarche. Elle s'était assurée que personne ne
puisse entendre. « Bon Dimitri. Il faut vraiment que l'on
reparle de cette histoire d'argent. Ça serait bien que tu puisses
piocher un peu dedans non ? Je te jure que j’abats de la
besogne mais pas assez pour subvenir à nos deux parts de loyer et le
reste des charges, sans parler de la nourriture et...
Pas
maintenant Anna.
Mais
tu m'avais promis qu'on en parlerait dès qu'on en aurait le temps.
Oui
et justement, ce n'est pas le bon moment. Dans tous les cas, j'ai
pris une décision.
Et
?
On
va taper dedans mais vraiment pour le stricte minimum. Je déteste
cet argent et tu le sais très bien.
Tu
peux pas faire un effort ?
C'est
déjà bien assez. Allez, on rejoint les autres. On en reparlera
demain. » Elle lâcha prise et voyait Dimitri s'éloigner en
direction des autres. « Promis ?
*
* * * * * * * * *
« C'est
quoi ces messes basses ? » engagea Quentin. Dimitri venait
d'apparaître sous la lumière orange d'un lampadaire. Il cachait
Anna avec sa silhouette.
C'est
rien l'ami.
On
dirait pas à ta tête.
C'est
Anna qui insiste pour que je sorte des sous de mon compte. Mais je
ne veux pas.
Oh,
je ne savais pas que c'était personnel.
Y
a rien de personnel du tout. Crois-moi. C'est un compte garnit par
mon cher père et que je refuse de toucher et ce, même si on est en
difficulté. On s'en sort toujours mais j'avoue que là... Elle
travaille pour deux quoi. Je vais faire une exception.
Oui
je vois un peu le tableau.
Au
début, ça ne me gênait pas mais je ne peux vraiment pas accepter
cet argent.
Très
bien. Mais tu cherches du boulot ?
Du
boulot ? J'ai arrêté de chercher. Franchement, quand tu nous
as dit ce que tu as traversé... Je me sentais un peu coupable mais
au bout de deux ans de refus... va remettre la machine en marche,
toi...
T'inquiètes
mec. Je suis passé par là.
C'est
bien que tu sois venu ce soir Quentin, commença Dimitri pour
changer de sujet.
Oui
je me sens à l'aise avec vous... Mince ! » Anna venait
de regagner leur hauteur. « Qu'est-ce qu'il y a ?
J'ai
pas fait gaffe à l'heure. J'ai loupé mon dernier bus. Ça craint !
T'inquiètes
tu peux rester à la maison. Demain on est libre. Tu es le bienvenu.
Vous
êtes sûrs que je peux ? Je ne veux surtout pas m'imposer.»
Dimitri lança aux deux autres un peu plus loin : « Eh
les gars ! Ça l'fait si Quentin reste dormir ce soir ?
Bien
sûr quelle question ! s'exclama Faustine. Tu vas pas
t'aventurer à travers la ville tout seul Quentin. Reste.
Je
veux pas déranger.
Taratata
taratata taratata ! » chantonna Chayim d'une voix rauque.
Dimitri explosa de rire accompagné de tout le monde. « Tu
veux nous dire quelque chose Chayim ?
Je...
J-... Je suis tout à... f-... tout à fait ! Tout à fait
d'accord que tu... que tu pu... que tu peux rester à l'appappa- à
l'apappartement. » Ils hurlèrent et l'écho de leur voix
réunies résonna à travers la nuit.
Quentin
alla rejoindre Faustine qui peinait à charger Chayim sur son épaule.
Son discours lui avait coûté toute son énergie. Il avait des airs
de jeune marin qui luttait pour tenir son rhum.
*
* * * * * * * * *
« Mais
le soleil va bientôt se lever ! » s'exclama Dimitri. Il
retirait de la fierté à pouvoir tenir et cuver son vin sans dormir.
« On rentre ? suggéra Anna. Je suis crevée.
*
* * * * * * * * *
Si vous êtes arrivés jusqu'à lire ces mots, c'est que peut être ce début d'histoire vous a plu... J'ai mis le bouquin en stand by.. Besoin de prendre du recul. Je m'essaie à d'autres choses ou pas... Qui vivra, écrira...