July 21, 2013

L'échappée belle - nouvelle à suivre

 Quoi de plus simple que de s'asseoir sur un banc publique et de constater avec nostalgie et humilité le temps qui passe et les idées préconçues et les murs et les masques qui tombent. Les mains croisées sur la poitrine, puis derrière la nuque, jusqu'à les oublier quand le regard absorbe le soleil, le ciel et les êtres venant de partout et allant nulle part. Bercé par ses illusions figées à la manière d'un kaléidoscope miroitant des images pétrifiées, il creuse toujours plus loin, plus fort, plus vrai, cloué au sol, à la terre et aux mouvements invisibles de ce que les langages scientifiques ne révéleront jamais. Il se dicte les mots de tout un monde qu'il voit et imagine en dehors de lui-même. Mais quand la vision se trouble et que le regard se détourne du monde extérieur, le bilan se fait enclume sculptée, lovée au creux des quatre coins du cœur qui stimule le poids et l'intérêt nécessaire du regard vers soi. Les yeux cerclés de fatigue, rouges et noirs, se plissent et des gouttes de sueurs perlent aux extrêmes de ses tempes et roulent lentement sur les traits ronds de son visage ovale. Il tire un carnet en carton des profondeurs de son sac-à-dos qu'il flanque par dessus son épaule avant de s'élancer dans les rues désertes en attendant la nuit. Il en parcourt quelques pages en slalomant entre les poubelles, les bornes à incendies, les bouches d'égouts. Le crépuscule se fait languir. Il referme son petit bouquin qui irise aussitôt sa pensée. Il marche au hasard sous les lampadaires en rang de chaque côté des avenues et allume une cigarette dont le feu le conforte dans ses réflexions et le mystère qui le poussent à vagabonder ainsi. Une bouteille que sa main agrippe fermement à lui faire mal aux articulations, il traverse une route et s'engage sur un rond point énorme et fleuri au centre duquel une fontaine propulse l'eau de ses tuyaux rouillés plus haut que la cime des arbres bordant les trottoirs du giratoire qui dégage une odeur amer, humide et légèrement sucrée. En un clin d’œil et sans qu'il puisse vraiment s'en rendre compte, les nuages balayèrent le bleu céleste avant de se dissoudre dans un râle grave et court. L'air de l'été et la tranquillité du sommeil de ceux qui sont déjà couchés ajoutaient au silence des constellations, qui observaient le jeune homme reprendre une gorgée de son vin de vigueur, de la fraîcheur et de la douceur. La lune pointe quelques faibles rayons sur le bassin dans lequel baignaient les parfums des pétales des arbres à fleurs multicolores de la place.

Cela faisait une éternité qu'il n'était pas retourné sur ses propres traces, à la recherche des moments passés qu'il gardait en tête sans arrêt sur image comme une sorte de montage en super-8 dont les bobines muettes faisaient de petits déclics sourds et continus. Il s'assit en tailleur. Nul besoin de rabattre les paupières dans une telle pénombre. Ses pupilles dilatées et ses longs cils lui donnaient des airs de chercheur d'or ahuri qui lui permettaient de voir au loin et en détail le vert et le pourpre des arbustes lui faisant face. Il restait tranquille et respirait profondément comme pour se redonner une contenance afin de dépasser les farces de l'ivresse. Il se remémorait ces instants au cour desquels des éclats de voix résonnaient tant qu'il peinait à se rappeler les conversations qui le faisait rire à se tenir les côtes et pleurer à chaudes larmes. L'atmosphère générale le rendait incapable de reconstituer ne serait-ce que des mots empruntés à la foule vrombissante qui assiégeait ses pensées. La chaleur qui s'échappait du sol lui caressait les bras nus et rendait son état d'esprit imperméable au monde. Il restait là à essayer en vain de se souvenir de choses. « C'était le bon vieux temps. » Effectivement, ce temps vers lequel il se retourne inlassablement et dont l'épreuve hasardeuse d'en retirer une quelconque satisfaction le rend toujours frustré. Il avait, dans ces moments-là, l'impression d'avoir à se rendre lui-même... des contes... comme s'il devait répondre à une question dont il avait su un jour la formule mais qu'il avait perdu au gré de ses délires et des liens étoffés qu'il tissait pour se rappeler de tout et devenir ainsi le maître de tous ses souvenirs.

Son estomac ronronnait quand son cerveau cria famine à l'unisson avec l'ondé de l'aigreur du tabac et de l'alcool qui sortait lentement de ses narines. Il se toucha le front de la paume de sa main. Il tira sur son t-shirt pour le faire bailler afin d'en retirer un peu d'air pour se rafraîchir. Il commençait à se demander comment il en était arrivé là. Il regarda autour de lui. « Pas un chat... » Puis il baissa la tête et s'alluma une cigarette. Il ignorait l'heure qu'il pouvait se faire et faisait semblant de s'en moquer. Son sang s'épaississait et ses veines ressortaient davantage sur sa peau à mesure qu'il tirait une bouffée brûlante sur son clope. Il s'arrêta sur une double page de son carnet qu'il avait de nouveau dégainé et qui le fit grimacer. « C'est nul. Qu'est-ce qui m'a pris d'écrire un truc pareil ?! » Il scruta les environs pour s'assurer qu'il était toujours seul. Il décida de ranger son carnet quand sa main tomba sur un grand cahier. Il l'attrapa machinalement et l'ouvrit au hasard pour tomber sur une page qui cette fois-ci semblait lui avoir insufflé une décharge électrique. Il se redressa aussitôt et écarquilla les yeux un peu plus. Aussitôt qu'il eut finir de lire, il fourra toutes ses affaires dans son sac. Il tourna la tête dans une direction, se releva et entama une longue marche dont seul son taux d’alcoolémie connaissait la destination. Il se pinçait les lèvres et son visage changea d'expression. Il avait des airs de grand reporter convaincu d'être sur l'affaire du siècle. Ses pensées, d'ordinaires voilées par le doute et la peur de l'échec, valsait en rythme avec ses pas qui martelaient une cadence qu'il tenait au détriment de sa respiration. Il donna une pichenette à sa cigarette qui fit un bond de quelques mètres sur l'asphalte et explosa en plusieurs petits tas de braises qui moururent aussitôt. L'haleine fumante il se répétait les mots qu'il venait de lire. « Un jour, tu verras. Tu seras fou à lier ! »

Il fit volte-face et retourna en direction du giratoire qu'il ne reconnaissait déjà plus. Ce n'est pas là qu'il doit être. Il entra dans une ruelle qui sentait fortement l'urine. Il décida de s'y soulager avant de reprendre sa route. Le souffle court, il ralentit sa démarche et force était de constater que l'adrénaline de l'excitation à présent évaporée n'était en fait qu'une fausse piste. « J'y comprends rien. » Il se mit une gifle, releva la tête. Il était perdu et le temps d'un instant il venait d'oublier tout ce qui venait de se passer. « Mais je suis où bordel ?! » Il fit de son mieux pour que son cœur ne s'extirpe pas lui-même d'entre ses côtes. Il restait immobile et commença à marcher dans une rue au hasard... Pris soudainement de colère, il lança son sac tellement fort et tellement loin qu'il avait l'impression de s'être démis l'épaule. Il pris la direction inverse et se retrouva nez à nez avec un grand gaillard d'une tête de haut de plus que lui et contre lequel il buta avant de faire un grand pas en arrière. « Oh pardon. » Son sang ne fit qu'un tour. Il était terrorisé. Il était perdu et ne savait plus où aller. « Tout va bien ici ?
  • Oui, oui.
  • On dirait pas vue ta tête. »

Donc on saute carrément toutes les étapes. On oublie les règles de la politesse et on se tutoie ? Sa colère reprit le dessus. « Si, si. Tout va bien...
  • Et tu vas où comme ça ? interrompit l'autre.
  • Je... Je rentre chez moi. D'ailleurs je vais y aller si vous permettez.
  • C'est toi qui m'ait rentré dedans.
  • Désolé. Bonne soirée. »

Puis il y eut un long silence que l'autre d'en face rendait insupportable en toisant le vagabond. « Je dois y aller. » Puis il commença à courir n'importe où mais loin de cet inconnu qui avait surgit de nulle part. « Attends ! T'es sûr que ça va ? » Il avait donné de la portée à sa voix et marcha en direction de l'autre qui était déjà loin. « Reviens ! »

Il s'était caché entre deux conteneurs dont l'odeur pestilentielle lui faisait tourner la tête. Pourquoi a-t-il fallut qu'il tombe sur quelqu'un. Il eut un flash et réalisa ce qu'il avait fait à son sac-à-dos . Il ne pouvait pas rester terré ici comme un misérable. Il passa la tête prudemment en se tenant à la gouttière du bâtiment contre lequel il se tenait tant bien que mal. Il était essoufflé et son vin cuvait qui commençait à lui donner mal au crâne. Rien à signaler. Il commença à chercher son sac en essayant de se rappeler par où il était passé. « Pourvu que je ne croise personne d'autre... AÏE ! Putain ! » Il venait de manquer un trottoir et de se tordre la cheville. « Mais c'est pas vrai ! » Il commençait à voir des mouches devant les yeux. Il s'assit tant bien que mal et releva son pantalon. Il s'était ouvert la cheville. « Ça fait mal ? » L'inconnu surgit dans son dos et le jeune homme laissa échapper un cri d'effroi. « Mais vous êtes malade ? »